Société
21 Septembre 2024

Springfield, Haïti et nous…

Springfield, Haïti et nous…

J’ai beaucoup hésité avant d’écrire ce texte. Je m’étais pourtant promis de ne plus aborder publiquement des enjeux politiques. Mais voilà, mon silence me ronge, et la seule façon de libérer cette colère est de l’écrire.

Honnêtement, je suis épuisée. Physiquement, mentalement, et surtout émotionnellement. Je sais, ce n’est pas nouveau, mais ces dernières semaines, en voyant ce qui se passe aux États-Unis, je ressens pleinement le poids de la déshumanisation de la communauté haïtienne. Springfield est devenue le théâtre d'une vague de haine et de peur contre les Haïtiens, alimentant un discours bien plus large : celui des républicains et leur politique anti-immigration. Un discours qui, subtilement ou non, commence à s’installer ici même, au Québec et au Canada.

Cette fatigue ne se limite pas à Springfield ou aux États-Unis. Ce qui se passe actuellement vise toute la diaspora haïtienne et Haïti dans son ensemble. Une fois de plus, c’est toute une nation qui se retrouve ciblée par une campagne de dénigrement. Pourquoi Haïti ? Pourquoi cet acharnement ? Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? En posant la question, on connaît déjà la réponse. Sa’n fè nap paye !

Ces discours politiques irresponsables réveillent des blessures profondes, celles que nos parents ont dû surmonter en émigrant pour offrir une vie meilleure à leurs enfants. Ces discours rappellent sans cesse aux Haïtiens, où qu’ils se trouvent, que peu importe leurs contributions, ils seront toujours stigmatisés, toujours perçus comme un problème à gérer.

Je pense à tous nos compatriotes qui fuient Haïti, risquant leur vie dans l’espoir de trouver un semblant de dignité ailleurs, souvent pour se retrouver confrontés à la déshumanisation. Ceux qui voguent sur des mers turbulentes vers les États-Unis, le Chili, le Brésil ou qui traversent la frontière vers la République dominicaine, seulement pour être humiliés et dénigrés.

Je me souviens des familles que j'ai rencontrées, aidées à trouver un logement, un emploi ou à naviguer dans un système de santé inconnu. Leurs histoires brisent le cœur, mais leur courage est incomparable. Ils n'ont pas quitté Haïti pour aller recréer un chaos ailleurs. Ils ont fui parce qu'ils n'avaient pas d'autre choix. Ce sont des personnes qui rêvent d'une vie meilleure, mais qui espèrent toujours, un jour, pouvoir revenir et contribuer à la reconstruction de leur pays. 

Nos politiciens aiment répéter qu’ils ne peuvent pas "accueillir toute la misère du monde". Ce qu’ils omettent, c’est que cette misère, ils l’ont souvent eux-mêmes créée. Par des décisions politiques, par des jeux de pouvoir. Quelle ironie que ceux qui sont en partie responsables des conditions que fuient ces migrants soient les premiers à les rejeter.

La situation actuelle montre à quel point il est urgent de restaurer la dignité de notre nation. Nous avons besoin d’une Haïti où nous nous sentons chez nous, où notre jeunesse peut grandir avec fierté, sans avoir à chercher refuge ailleurs. C’est en reconstruisant et en réparant Haïti que nous pourrons mettre fin à cette spirale de déconstruction, de rejet et de racisme que nous subissons à l'étranger.

Enfin, je veux dire un grand merci à tous ceux et celles qui se lèvent chaque jour pour rejeter la haine et maintenir la fierté de qui nous sommes. Ce que nous vivons collectivement est lourd, mais il est d’autant plus important de prendre un pas de recul, de veiller sur notre santé mentale. Protégeons-nous les uns les autres, prenons soin de nous, pour que cette lutte soit menée avec force et résilience.