Le 26 février dernier, je me suis rendue à Ottawa pour être aux côtés du Ministre de la Justice Arif Virani pour le dépôt de la loi C-63. Il était important pour moi, tout comme Jane Doe, cette mère dont la fille a vécu en enfer, de raconter notre histoire afin que les choses changent. Cette loi établirait des règles de base destinées à assurer la sécurité des Canadiens et Canadiennes et à tenir les plateformes en ligne responsables du contenu qu’elles hébergent. Je n’ai jamais parlé publiquement de tout ce que je vivais pendant que je traversais cette période difficile, mais il était important pour moi de raconter mon récit pour qu’on comprenne l’urgence d’agir.
Je vous partage ici le texte que j’ai lu lors du point de presse suivant le dépôt du projet de loi.
Hello,
My name is Carla Beauvais and I will humbly share my story with you. I take the stand today knowing that it is my duty to talk and not be silenced anymore.
Mon histoire n’est pas unique, au contraire ! Mon histoire est celle de tant de femmes qui sont traquées sur les réseaux sociaux et qu’on tente de réduire au silence à tout prix parce qu'elles défendent des idéaux de justice sociale.
On part de haine en ligne ! De violence en ligne ! Tout ça est un peu abstrait, jusqu’au jour où on y fait face !
Il y a des moments où la vie vous confronte à des épreuves que vous n'auriez jamais imaginées, des moments qui vous laissent à bout de souffle, des moments où votre foi en l'humanité est mise à rude épreuve.
Pour moi, ce moment a été lorsque j'ai été submergée par une vague de haine en ligne à l’été 2020. Je suis une militante dans l’âme. Je croyais avoir, en moi, tout ce qu’il faut comme force intérieure pour faire face à toute adversité.
Mais rien ne pouvait me préparer à la violence, à la misogynoir et au racisme dont j’ai été victime. Rien !
Après le lancement de l'application UP, un projet imaginé avec trois amis, destiné à soutenir les entrepreneurs noirs en pleine pandémie, j’ai été la cible de deux éditorialistes. Suite à leurs écrits diffamatoires, j'ai été submergée par un déluge de messages haineux et racistes. Ce harcèlement a pris la forme d’insultes racistes, de menaces et d’appels téléphoniques parfois terrifiants.
J'ai été traitée de tous les noms ! On m'a ordonné de "rentrer chez moi", et le mot en "N" a été utilisé à volonté pour me déshumaniser. J'ai même été confrontée à une plainte pour incitation à la haine raciale, une accusation absurde et offensante.
Le moment de bascule pour moi a été la nuit où un homme m’a appelée en me disant qu’il connaissait mon adresse et qu’il allait régler mon cas. Lorsqu’il a prononcé les trois numéros de mon adresse et le nom de ma rue, tout s’est écroulé autour de moi.
Vous ne pouvez pas imaginer, la peur, l’anxiété et le stress qui m'ont habitée. Pendant au moins trois mois, je ne suis pas sortie de chez moi. Un double confinement physique et mental.
Imaginez la scène : MOI, une mère monoparentale vivant seule avec sa fille de 3 ans aux prises avec cette tempête de haine, qui redoute le moment où un homme pourrait surgir de nulle part pour m’attaquer. Et qu’est-ce qui pourrait arriver à ma fille ? Je me suis fait tant de scénarios. J’étais complètement démunie !
Face à cette haine inexpliquée, j’ai choisi de m’effacer, de disparaître et de vivre cette souffrance en silence. Je me suis retirée de la sphère publique et des médias sociaux. J’ai dû renoncer à une partie de moi-même ! Cela m’a pris 8 mois avant de pouvoir en parler publiquement.
C’est grâce à la campagne Bloquons la haine initiée par le YMCA et La Fondation canadienne des relations raciales que j’ai pu me réapproprier ma voix, partager mon histoire et dénoncer les actes que j’avais vécu. Je ne remercierai jamais assez Mohammed Hashim de m’avoir donné cette plateforme. Elle m’a permis de me libérer.
La misogynoir, cette intersection entre le sexisme et le racisme, m'a frappée de plein fouet. En tant que femme noire, je suis doublement vulnérable à la violence en ligne, qui trouve ses racines dans des systèmes d'oppression profondément enracinés.
Mon histoire - c’est celle de Tamara Thermitus, d’Émile Nicolas, de Vanessa Destiné, de Dominique Anglade, de Dominique Olivier, de Claudine Guay, d’Anastasia Marcelin, d’Annamie Paul, de Lesly Lewis, mais celle de tant de femmes qui vivent leur peine dans l'obscurité, loin des projecteurs.
Je veux que vous sachiez que nous ne sommes pas QUE des victimes, mais surtout des survivantes.
La violence en ligne brise des vies dans le réel. Elle dépasse le cadre virtuel. Ces attaques qui sont pour la plupart du temps impunies ont des impacts psychologiques énormes. Il ne faut pas banaliser ces actes, car la haine est aussi précurseur de violence.
Aujourd’hui, j’ai la chance d’être devant vous et de partager mon histoire et de mettre un visage humain sur les effets de cette haine qui ne diminue pas et qui prend de plus en plus d’ampleur.
Mais combien n’ont pas cette chance ? Combien de vies ont été brisées ? Combien ont abdiqué ? Combien nous ont quittés ?
Le projet de loi déposé aujourd’hui n’est que le début d’une série d’actions nécessaires qui je l’espère nous protégeront de ce fléau qu’est la haine en ligne et sensibilisera la population sur ses effets dévastateurs.
La haine est une menace pour notre sécurité, notre démocratie et nos droits en tant que canadiennes et canadiens. La liberté d’expression ne devrait jamais être érigée comme droit fondamental quand elle détruit des vies.
Ma vie a basculé depuis 2020 et je ne crois pas que je pourrais être complètement guérie des traumatismes que je porte encore en moi.
Mais la journée d’aujourd’hui me donne espoir. L’espoir que la banalisation et l’impunité de la haine en ligne ne seront plus acceptée !
Merci de m’avoir offert cette tribune et de m’avoir écoutée.